Les boucaniers

 

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CITOYEN TOUSSAINT

de Ralph Korngold

Première partie

Haïti avant Toussaint

CHAPITRE 2

Les boucaniers

En 1625, des aventuriers anglais et français prirent possession de l’île de St. Christophe, l’une des plus petites des Îles Sous-Le-Vent. Ils étaient dans l’île depuis cinq ans et se sentaient parfaitement installés quand l’amiral espagnol Don Federico de Toledo vint leur rendre une visite importune. Quand cette visite prit fin, les membres survivants de la colonie se retrouvèrent en mer dans des canots découverts, sans autre objectif que de parvenir le plus loin possible des canons tonnants de l’amiral.

Le début de l’histoire des fugitifs est quelque peu obscur. L’évidence prépondérante indique qu’ils commencèrent par débarquer sur la côte nord-ouest d’Hispaniola, un pays sauvage et inhabité. Les Espagnols avaient introduit dans l’île des chevaux, du bétail et des porcs. Ceux-ci s’étaient rapidement multipliés et de grands troupeaux parcouraient la savane. Ainsi, les fugitifs, qui étaient bien armés, ne manquaient pas de subsistance. Ils avaient appris des Indiens comment conserver la viande sans le sel qui était coûteux et difficile à obtenir. La viande était découpée en lamelles, séchée au soleil et ensuite fumée sur un feu de ramée. Le procédé s’appelait « boucaner », d’où le nom de « boucaniers » qui fut attribué à ces colons. Les abris rudimentaires dans lesquels ils vivaient et fumaient leur viande furent appelés « boucans ».

Peu après leur arrivée à Hispaniola, certains des fugitifs décidèrent qu’il y avait un moyen plus lucratif de gagner sa vie que de chasser le taureau et le sanglier. A quelques milles de la côte, se trouvait la petite île de la Tortue. Elle avait la forme d’un cigare avec sa côte nord inaccessible, même en canot, et sa côte sud qui avait un seul port étroit, facile à défendre. Les boucaniers les plus aventureux décidèrent de s’emparer de la Tortue et de s’en servir comme base pour des opérations de piraterie. Une garnison de vingt-cinq Espagnols stationnée dans l’île fut sommée de partir, ce qu’elle fit obligeamment. Les aventuriers construisirent ensuite un petit navire et eurent tôt fait, la chance aidant, d’en capturer plusieurs aux Espagnols. Leur réussite en attira d’autres et la Tortue devint une véritable pépinière de pirates. Ils devinrent connus sous le nom de « flibustiers » ou de « freebooters » (pillards), terrorisèrent la Mer des Antilles et étendirent leurs opérations jusqu’au Pacifique.

Nombre d’autres boucaniers s’établirent désormais à la Tortue pour commercer avec les pirates . Avec le temps, ils abandonnèrent la chasse pour l’agriculture. Cependant, les Espagnols avaient maintenant pris pleinement conscience du danger de cette situation et faisaient des efforts persistants pour se débarrasser des intrus. Ils reprirent plusieurs fois la Tortue et conduisirent une guerre d’extermination contre les boucaniers. On trouve sur la carte d’Haïti des noms comme la rivière du Massacre, la plaine du Massacre, la montagne du Massacre, tous antérieurs à la révolution haïtienne et rappelant les rencontres sanglantes entre Espagnols et boucaniers. Mais les Espagnols eurent beau faire, ils furent incapables de déloger leurs ennemis de façon permanente et de nouvelles recrues continuaient d’arriver.

Quand ils ne combattaient pas les Espagnols, les boucaniers se maintenaient en forme en se battant entre eux. Les uns étaient français, les autres anglais. Les Hollandais, qui n’étaient qu’une petite minorité, ne prétendirent pas à diriger. Mais les Français et les Anglais luttaient continuellement pour leur suprématie, avec tantôt une faction, tantôt l’autre prenant le dessus d’une querelle qui dura quarante ans. Néanmoins, en 1664, les Français étaient fermement en selle, par suite de l’aide du gouvernement national. La France reprit alors la colonie en main et d’Orgeron de la Bouère fut nommé gouverneur.

Le gouvernement français entreprit de peupler la colonie de Français. Il y envoya des serviteurs appelés « engagés ». Ils avaient le voyage gratuit mais devaient signer un accord promettant de travailler pendant trois ans pour quiconque désirait louer leurs services. Ils étaient traités de façon inhumaine. Du Tertre parle de cinquante d’entre eux qui moururent au service d’un seul maître. Finalement, on décida d’envoyer des forçats. Il était relativement facile pour un homme pauvre de devenir un forçat en ce temps-là, de sorte que ceux que ceux que l’on transportait n’étaient pas nécessairement de mauvais sujets.

Le premier gouverneur, d’Orgeron, persuadé qu’une colonie sans femme n’avait pas beaucoup d’avenir, avait demandé que des femmes fussent envoyées ; il en reçut deux consignations de cinquante. Wimpffen déclara : « Elles étaient des mégères de la Salpetrière (la prison des femmes de Paris), des catins ramassées du ruisseau, des garces éhontées dont le langage était aussi exécrable que la moralité. Néanmoins, d’Orgeron n’eut pas de mal à s’en débarrasser en les cédant au plus offrant et elles furent tellement prisées que leurs employeurs les épousaient souvent. Mais les jeunes femmes étaient d’une telle inconduite qu’après l’arrivée de plusieurs autres cargaisons, le gouverneur aux abois se plaignit en ces termes au ministre de la marine : « Il vaudrait mieux ne plus envoyer de femmes plutôt que celles du genre que nous avons reçu. Elles ruinent la santé de hommes et leur causent tant de soucis qu’elles les conduisent prématurément à la tombe, sans parler des autres méfaits par lesquels elles troublent la paix et l’ordre. »

Les immigrants qui commerçaient à affluer à la colonie, résolus à faire fortune, étaient presque aussi indésirables. L’intendant Mithon écrivait : « La vie coloniale, il est vrai, n’attire habituellement pas la crème de la population, mais ce que nous recevons ici, c’est la racaille de toutes les parties du monde, qui a été forcée d’émigrer pour sa conduite licencieuse ou son passé chargé. »

 

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Dernière mise à jour le 08 sept. 2001 © 1999-2001 getup@free.fr